Missions
Stendhal 2012
Dans le cadre des Missions
Stendhal, Bernardo Toro a été invité au Chili pour effectuer un travail de
recherche autour de son prochain roman Qui
d’autre à part nous à paraître en 2013. Il participera à quelques
rencontres organisées par l’Institut français et l’l’Alliance française du
Chili.
Voici les principales :
Le
mercredi 21 mars à 18h au Consejo de la Cultura à
Valparaiso. Présentation de son prochain roman Qui d’autre à part nous.
Le
mardi 3 avril à 19h30 à l’Institut français de Santiago.
Rencontre avec Ramon Diaz-Eterovic et Anne-Marie Métailié autour du thème Roman
et mémoire, animée par Marilu Ortiz de Rozas.
Le
mercredi 18 avril à 19h30 à l’Institut français de Santiago.
Rencontre avec Arturo Fontaine et Carla Guelfenbein autour du thème Fiction et
histoire, animée par Marcia Scantlebury.
Quelques
remarques autour de son prochain roman
Mon
projet littéraire s’inscrit dans le prolongement d’une réflexion sur la
littérature en prise avec la mémoire historique déjà entamé avec mon premier
roman Contretemps qui traitait de
l’exil chilien en France. Je me propose d’écrire un roman librement inspiré de
la vie d’une militante socialiste morte à l’âge de vingt ans, où seront évoqués
les années du gouvernement d’Allende ( 1970-73 ) et la répression militaire de
Pinochet ( à partir de 1973 ).
Les trois étapes de la mémoire et le
rôle de la littérature
Le
coup d'Etat de 1973 au Chili a été un véritable séisme dont l'onde de choc a
affecté au moins trois générations, la dernière étant née après le retour à la
démocratie. Nous avons donc affaire à un événement non seulement vécu, mais
surtout transmis. Un fait de langue et de sens et non seulement de feu et de
sang.
A
la suite des événements bien connus, il s’est produit au sein de la société
chilienne un difficile travail de mémoire dont la première étape, inévitable, a
été l’oubli. Dans un premier temps, seul l’oubli a permis aux victimes de
panser leurs blessures et à la société de retisser ses liens. La consolidation de
la démocratie a permis à la société chilienne d’entrer dans une nouvelle étape,
celle du témoignage.
Il
est difficile de dater avec précision ces étapes, mais il semble acquis que la
fiction ne peut s’inscrire qu’à la fin de ce processus, une fois que la
« vérité historique » a été établie.
La censure qui opérait autrefois sur la mémoire a été levée, mais une
autre forme de censure plus subtile s’est mise en place. Elle consiste à limiter
la portée de cette mémoire historique, en arguant de son absence de rapport
avec notre présent. Ces témoignages nous parleraient, en effet, d’un passé
révolu, définitivement déconnecté des préoccupations
du présent. A l’impératif de cohésion sociale succède donc la dévaluation du
passé. Le « devoir de mémoire » loin de raviver l’intérêt pour cette période
ne fait qu’aggraver le ressentiment envers cette fable historique que les « faibles »
( les vaincus ) imposent au reste de la société. Face à cette indifférence
voulue et néanmoins réelle, la littérature a, nous semble-t-il, un rôle à
jouer. En tant que fait historique les événements des années 70 appartiennent
au passé, mais en tant que fait littéraire ils redeviennent présents. Un roman
peut, en effet, nous raconter des faits qui ont eu lieu il y a quarante ans
comme s’ils étaient en train d’avoir lieu. La fiction fait trou dans la
chronologie en dévoilant une dimension du présent qui échappe à l’histoire. C’est
le grand avantage de la littérature sur l’histoire dans la transmission de la mémoire.
Avant
d’aborder mon propre travail, il me semble nécessaire de noter que ma langue
d’écriture est le français. La question ne se pose donc pas pour moi dans les
mêmes termes.
Etant
étrangère aux faits que je me propose de raconter, la langue française n’est
pas soumise au même régime ni aux mêmes interdits qui opèrent sur la langue du
pays. De ce fait, le français permet d’accélérer le travail de mémoire. Pour le
moment, peu de fictions écrites en langue espagnole mettent en scène les années
Allende et la répression militaire. Au Chili le travail de témoignage et de
reconstitution historique se poursuit, il est même probable que seule la
progressive disparition des acteurs de ce drame permette à la fiction chilienne
de s’approprier réellement cette partie de son histoire.
La
langue française garantit, d’autre part, la nécessaire mise à distance qui
permet à l’auteur de plonger dans une réalité violente, trouble et souvent
sordide.
La forme du roman
Ces
réflexions m’ont conduit à poser la question de la forme à donner au roman. Le
personnage principal de mon roman assiste à des faits historiques parfaitement
connus : la manifestation du 4 septembre 1973, la prise de l’usine
Mademsa, le bombardement de La Moneda, l’enterrement de Neruda, la torture dans
les centres de détention de la rue Londres et de Tejas Verdes, etc. Il y a dans
mon roman un entrelacement d’éléments fictionnels et de données historiques qui
rendra problématique son statut. Quelle est la part de fiction et la part de
réalité ? Où commence l’une et se termine l’autre ? Pour mieux nouer
les deux approches en une seule unité narrative, je voudrais rassembler deux
traditions littéraires opposées, le roman psychologique fondé sur le monologue
intérieur et le roman social à forte base documentaire. Le récit plongera dans
les replis de la conscience du personnage qui lui-même sera confronté à une
réalité historique que je compte traiter avec la plus grande rigueur
documentaire. La violence sociale aura comme conséquence un progressif
rétrécissement de la subjectivité, comme si le dehors finissait par dévorer le
dedans.
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