19 mars 2012



Missions Stendhal 2012


Dans le cadre des Missions Stendhal, Bernardo Toro a été invité au Chili pour effectuer un travail de recherche autour de son prochain roman Qui d’autre à part nous à paraître en 2013. Il participera à quelques rencontres organisées par l’Institut français et l’l’Alliance française du Chili.

Voici les principales :

Le mercredi 21 mars à 18h au Consejo de la Cultura à Valparaiso. Présentation de son prochain roman Qui d’autre à part nous.

Le mardi 3 avril à 19h30 à l’Institut français de Santiago. Rencontre avec Ramon Diaz-Eterovic et Anne-Marie Métailié autour du thème Roman et mémoire, animée par Marilu Ortiz de Rozas.

Le mercredi 18 avril à 19h30 à l’Institut français de Santiago. Rencontre avec Arturo Fontaine et Carla Guelfenbein autour du thème Fiction et histoire, animée par Marcia Scantlebury.


Quelques remarques autour de son prochain roman

Mon projet littéraire s’inscrit dans le prolongement d’une réflexion sur la littérature en prise avec la mémoire historique déjà entamé avec mon premier roman Contretemps qui traitait de l’exil chilien en France. Je me propose d’écrire un roman librement inspiré de la vie d’une militante socialiste morte à l’âge de vingt ans, où seront évoqués les années du gouvernement d’Allende ( 1970-73 ) et la répression militaire de Pinochet ( à partir de 1973 ).


Les trois étapes de la mémoire et le rôle de la littérature

Le coup d'Etat de 1973 au Chili a été un véritable séisme dont l'onde de choc a affecté au moins trois générations, la dernière étant née après le retour à la démocratie. Nous avons donc affaire à un événement non seulement vécu, mais surtout transmis. Un fait de langue et de sens et non seulement de feu et de sang.

A la suite des événements bien connus, il s’est produit au sein de la société chilienne un difficile travail de mémoire dont la première étape, inévitable, a été l’oubli. Dans un premier temps, seul l’oubli a permis aux victimes de panser leurs blessures et à la société de retisser ses liens. La consolidation de la démocratie a permis à la société chilienne d’entrer dans une nouvelle étape, celle du témoignage.

Il est difficile de dater avec précision ces étapes, mais il semble acquis que la fiction ne peut s’inscrire qu’à la fin de ce processus, une fois que la « vérité historique » a été établie.  La censure qui opérait autrefois sur la mémoire a été levée, mais une autre forme de censure plus subtile s’est mise en place. Elle consiste à limiter la portée de cette mémoire historique, en arguant de son absence de rapport avec notre présent. Ces témoignages nous parleraient, en effet, d’un passé révolu, définitivement déconnecté  des préoccupations du présent. A l’impératif de cohésion sociale succède donc la dévaluation du passé. Le « devoir de mémoire » loin de raviver l’intérêt pour cette période ne fait qu’aggraver le ressentiment envers cette fable historique que les « faibles » ( les vaincus ) imposent au reste de la société. Face à cette indifférence voulue et néanmoins réelle, la littérature a, nous semble-t-il, un rôle à jouer. En tant que fait historique les événements des années 70 appartiennent au passé, mais en tant que fait littéraire ils redeviennent présents. Un roman peut, en effet, nous raconter des faits qui ont eu lieu il y a quarante ans comme s’ils étaient en train d’avoir lieu. La fiction fait trou dans la chronologie en dévoilant une dimension du présent qui échappe à l’histoire. C’est le grand avantage de la littérature sur l’histoire dans la transmission de la mémoire.


 Un roman écrit en français

Avant d’aborder mon propre travail, il me semble nécessaire de noter que ma langue d’écriture est le français. La question ne se pose donc pas pour moi dans les mêmes termes.

Etant étrangère aux faits que je me propose de raconter, la langue française n’est pas soumise au même régime ni aux mêmes interdits qui opèrent sur la langue du pays. De ce fait, le français permet d’accélérer le travail de mémoire. Pour le moment, peu de fictions écrites en langue espagnole mettent en scène les années Allende et la répression militaire. Au Chili le travail de témoignage et de reconstitution historique se poursuit, il est même probable que seule la progressive disparition des acteurs de ce drame permette à la fiction chilienne de s’approprier réellement cette partie de son histoire.

La langue française garantit, d’autre part, la nécessaire mise à distance qui permet à l’auteur de plonger dans une réalité violente, trouble et souvent sordide.

La forme du roman

Ces réflexions m’ont conduit à poser la question de la forme à donner au roman. Le personnage principal de mon roman assiste à des faits historiques parfaitement connus : la manifestation du 4 septembre 1973, la prise de l’usine Mademsa, le bombardement de La Moneda, l’enterrement de Neruda, la torture dans les centres de détention de la rue Londres et de Tejas Verdes, etc. Il y a dans mon roman un entrelacement d’éléments fictionnels et de données historiques qui rendra problématique son statut. Quelle est la part de fiction et la part de réalité ? Où commence l’une et se termine l’autre ? Pour mieux nouer les deux approches en une seule unité narrative, je voudrais rassembler deux traditions littéraires opposées, le roman psychologique fondé sur le monologue intérieur et le roman social à forte base documentaire. Le récit plongera dans les replis de la conscience du personnage qui lui-même sera confronté à une réalité historique que je compte traiter avec la plus grande rigueur documentaire. La violence sociale aura comme conséquence un progressif rétrécissement de la subjectivité, comme si le dehors finissait par dévorer le dedans.

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